Le locataire peut il ou non prétendre à un non-paiement total et définitif des loyers au regard de la situation actuelle ?
UN CAS DE FORCE MAJEURE ?
Comme évoqué dans notre note précédente, nous pouvons raisonnablement envisager que l’épidémie du COVID-19, et plus particulièrement les décisions gouvernementales liées à celle-ci sont susceptibles de constituer un cas de force majeure.
Néanmoins, nous avions souligné que dans un arrêt du 17 mars 2016, la cour d’appel de Paris a relevé́ que même à considérer que le virus EBOLA soit considéré́ comme un cas de force majeure (ce qui n’était pas formellement établi), il ne permettait pas de justifier la baisse de trésorerie du débiteur qui ne pouvait s’exonérer de ses obligations contractuelles en paiement (Paris, 17 mars 2016, n°15/04263). La Cour d’Appel de Toulouse (3e ch 3 oct 2019 n 1901579) en a jugé de même à propos d’un non-paiement de loyer d’un bail rural dans le cadre de la grippe aviaire.
Ces décisions s’inscrivent dans le prolongement d’un arrêt de la Cour de Cassation dans lequel la haute juridiction avait dit pour droit que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. com. 16 septembre 2014, n°13-20.306, F-PB.)
En effet, pour que le critère d’irrésistibilité soit caractérisé et que la force majeure soit retenue, celui qui souhaite s’en prévaloir pour s’exonérer d’une obligation contractuelle de somme d’argent doit rapporter la preuve que l’épidémie et les mesures prises par le gouvernement rendent impossible l’exécution de son obligation contractuelle, en l’occurrence de paiement des loyers.
Cette preuve sera donc difficile à rapporter compte tenu de l’état actuel de la jurisprudence.
UNE EXCEPTION D’INEXECUTION ?
Lorsque le bail prévoit une activité strictement interdite par les arrêtés, Il apparait que le bailleur ne remplit plus son obligation de délivrance (article 1719 du code civil) puisqu’il n’est plus en capacité de donner à bail un local conforme à la destination contractuelle puisque l’activité en question n’est plus exploitable, pendant la période de confinement, dans les locaux donnés à bail.
Dans un arrêt du 23 mai 2019 la cour de cassation a rappelé que le bailleur est obligé d’assurer au preneur une jouissance paisible de la chose louée pendant la durée du bail et cette obligation ne cesse qu’en cas de force majeure (Civ. 3ème, 23 mai 2019, 18-10.034 ; cf aussi : Cass. 3e civ. 7-3-2006 n°04- 19.639).
L’inexécution de l’obligation de délivrance du bailleur pourrait ainsi justifier que le preneur suspende (et non pas reporte) le temps de fermeture administrative de l’activité, son obligation de paiement du loyer : c’est l’exception d’inexécution.
La difficulté serait donc de déterminer si le preneur peut invoquer l’exception d’inexécution alors que l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance ne résulte pas de son propre fait mais de faits extérieurs à sa volonté et à son contrôle.
Si les tribunaux accueillent favorablement cet argumentaire, le preneur pourrait donc suspendre son obligation sur le fondement de l’article 1220 du code civil qui prévoit qu’une « partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle », la suspension doit « être notifiée dans les meilleurs délais ». Le locataire devra ainsi notifier au bailleur qu’il ne paiera pas les loyers pendant la période d’interdiction de l’exercice de son activité.
Lorsque le bail prévoit une activité non interdite par les arrêtés, le preneur est seulement gêné dans son exploitation par la survenance du Covid-19 et des mesures en résultant (la fermeture et le confinement). Dans ce cas, le raisonnement précédent ne nous semble pas s’appliquer.
SUR LA THÉORIE DE L’IMPRÉVISION ?
Dans la mesure où le contrat de bail conclu après le 1er octobre 2016 ne l’exclut pas expressément, un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat peut, sous certaines conditions, amener les parties à renégocier les conditions du contrat ou à le résoudre.
Selon l’article, 1195 du Code civil: « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ». Pour les contrats conclus avant, la jurisprudence était partagée sur cette possibilité.
A la différence de la force majeure, il n’est pas besoin de démontrer que l’exécution du contrat est impossible ou insurmontable ou encore que les circonstances sont extérieures aux parties.
Cela étant, le bailleur n’a pas d’obligation d’accepter la négociation et celle-ci peut-être infructueuse.
En cas d’échec dans la renégociation du contrat, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de soumettre ce contrat au juge, qui procédera à son adaptation ou sa résolution. En tout état de cause, les parties sont tenues d’appliquer le contrat dans toutes ses dispositions le temps de la renégociation et tant que le juge ne s’est pas prononcé.
En définitive, quoi qu’il en soit, force majeure, exception d’inexécution ou imprévision, il appartiendra aux tribunaux de trancher la pertinence de l’argument invoqué. Avant une issue judiciaire, dans un contexte exceptionnel, bailleur et preneur ont surement tout intérêt à rechercher amiablement une solution commune.